Eentré à la mine de Sancy à Trieux à 14 ans, Daniel Longhi, comme 257 autres mineurs reçoit le 14 octobre 1963 sa lettre de licenciement après 17 ans de fond. Avec les autres mineurs il décide d'occuper le fond. Ils ne remonteront à la surface que 79 jours plus tard, le 31 décembre.
Daniel
On s’attendait à de mauvaises nouvelles mais cela a été un choc. 258 licenciés, la moitié des effectifs de la mine alors que du matériel moderne d'exploitation venait d'être installé. J’ai appris la nouvelle avec mes camarades le 13 octobre dans la mine au cours d'une réunion organisée par le délégué mineur. Immédiatement nous avons décidé l’occupation du fond pour éviter que la police ne bloque l’accès au puits.
Des camarades ont fait le tour des cités pour avertir les familles et organiser la résistance. Collecter des couvertures, fournir les repas etc.
Dans mon souvenir, le jour le plus noir c'était le 14 octobre lorsque les lettres de licenciement sont arrivées dans les boites à lettres. Jusque là la cité était en effervescence, nous discutions, nous débattions, nous riions même. Et tout à coup, c'était comme si une chape de plomb était tombée sur Trieux. Le silence. C’était impressionnant. Puis la colère a éclaté. Nous avons dû intervenir pour empêcher des camarades de commettre des actes irréparables envers la direction de la mine.
Janette
A l’époque nous habitions un petit 2 pièces et notre deuxième fille venait juste de naître. Quand Daniel est rentré avec sa lettre nous avons fondu en larmes dans les bras l'un de l’autre puis nous nous sommes ressaisis. Pas question de se laisser faire !
Daniel
Au fond nous nous sommes organisés pour la vie quotidienne. Nous avons mis sur pieds des équipes pour la propreté, la popote et même une police. J’étais chargé de l'animation, de la culture car il faut aussi occuper les hommes. Entretenir le corps et l’esprit pour éviter de gamberger. A l’époque j'étais responsable des éclaireurs de France. Nous avions tourné des films que nous passions aux cours de séances de cinéma improvisées. Nous organisions aussi des concours de belote. C’est au fond que j'ai eu l'idée de composé un hymne. J’ai écris les deux premières strophes du "chant des mineurs" et les copains les suivantes.
Il y avait une assemblée générale quotidienne suivie d'un communiqué. Nous avons aussi mis en place un système de roulement: 3 jours au fond puis une journée au jour.
##fr3r_https_disabled##Janette
Pour moi cette lutte a été un formidable révélateur. Grâce à la rencontre d'un prêtre-ouvrier et de femmes militantes de la CGT j 'ai pris conscience de la nécessité de s'organiser pour lutter. Nous les femmes avions un rôle vital. Nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes. Il fallait éviter les divisions. Quand les lettres de licenciements sont arrivées, les épouses dont les maris n'étaient pas licenciés n'osaient plus sortir de chez elles. Avec d'autres femmes nous sommes allées les voir pour leur dire qu'elles n'étaient en rien responsables et qu'il fallait s'unir pour soutenir nos hommes, nos familles.
Au sein du Comité des femmes de mineurs j'ai été chargé de l'information des populations. Comme on dit aujourd'hui j’étais chargé de la communication du mouvement.
Daniel
Nous n'imaginions pas que cette occupation durerait aussi longtemps sauf ceux parmi nous qui avaient une conscience politique. Le patronat refusait de discuter. Alors on s'est énervé après la presse qui ne parlait pas de nous. Nous avons menacé de demander à la population lorraine de boycotter les 2 quotidiens régionaux. Cela a porté ses fruits. Nous avons eu des reportages locaux mais aussi nationaux.
L’action des femmes a été déterminante. Les gars le savaient. J’ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet: Des hommes qui n'avaient jamais adressé de lettres d'amour à leurs femmes se sont mis à en écrire depuis le fond de la mine !
Janette
C’est vrai que cette lutte a été pour nous les femmes une révolution. Pour ma part fille d'immigrés italiens, on m' a toujours répété dès l' école que j'étais destinée à être la bonne des autres et rien d'autre. Pas d'autre perspective ! Je me suis réalisée dans la lutte, ouverte au monde. Je suis sortie de la résignation. On peut infléchir le destin si l'on est solidaire. Pour revenir à notre engagement à nous les femmes, Albert Balducci le patron des mineurs CGT a reconnu que sans nous, jamais le combat n'aurait été mené à son terme.
Daniel
La remontée ce fameux 31 décembre 1963 est aussi un souvenir fort. Le syndicat nous a annoncé que nous nous sommes bien battus et qu'il faut savoir arrêter une grève. Au fond cela a été violent : Il y a eu des éclats de voix, des crises de nerf, des pleurs. Il faut comprendre. Après tant de jours de lutte et de sacrifices, ce que l'on obtient n'est jamais assez. Après des heures de discussion nous sommes enfin remontés au jour...
Janette
Ce jour là il faisait un froid terrible, il y avait du verglas. Alors on a vu nos hommes remonter avec leurs balluchons sur l’épaule. Nous étions émues et tellement fières d'eux. Nous les avons applaudi et avons donné à chacun d'eux une rose rouge... Puis quand j'ai vu Daniel je me suis accroché à la grille et j'ai crié: " C'est bon les gars, on les aura les patrons !!! "
Daniel
Même si la mine a fermé, notre lutte n'a pas été un échec bien au contraire. Elle a permis d’obtenir la garantie de rester dans les cités jusqu' à l'obtention d'un autre emploi,
La création des centres de formation AFPA pour reconvertir les mineurs. Pour mon part je suis devenu électricien et j'ai pu faire une carrière dans la sidérurgie. Nous avons obtenu un complément pour garantir la baisse de salaire et surtout la création de collèges pour nos enfants et leur permettre de faire des études.
Sans oublier que l’expérience de cette lutte a bénéficié aux autres mouvements ouvriers qui viendront plus tard dans la sidérurgie et dans le charbon.
Cette expérience de solidarité et de fraternité j'essaie aujourd'hui de l’entretenir et de la partager avec les autres, les jeunes en particulier. Dès qu'un nouvel arrivant emménage dans la cité je vais le voir et je lui raconte ce qu'il s'est passé ici.
Une stèle érigée en souvenir (voir encadré ci-dessous) :
Une stèle du cinquantenaire et des célébrations
En hommage au combat des mineurs de 1963, une stèle a été dévoilée à l'entrée de Trieux (en venant d'Avril précise le Républicain Lorrain) dimanche 13 octobre 2013, à 11h en présence de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti.Cette sculpture de pierre de plus de deux mètres a été taillée Baptiste Congi, un ancien mineur.
Des timbres à l’effigie des mineurs et du monument qui leur est dédié sont disponibles à la vente en mairie de Trieux.
Les femmes de mineurs comme Janette mais également les filles, sœurs et veuves de mineurs, célébreront également ce cinquantenaire mardi 15 octobre, salle Brassens à Trieux.